mercredi 25 novembre 2009

Mon buste , Valery

Ce texte est un extrait de la préface que Paul Valéry a rédigée pour le catalogue de l'exposition Renée Vautier à la galerie Charpentier en 1935. Une des sculptures que Renée Vautier a exposée représente le buste de Paul Valéry.

« Je dois à la circonstance de mon buste, non seulement ce buste assez beau; mais encore, la conscience très précieuse des peines et des problèmes étonnamment subtils dans lesquels la pratique approfondie d'un art dont la donnée est la plus simple du monde, engage celui qui mérite et qui s'inflige ces nobles tourments.

Par peines et par problèmes, je n'entends pas seulement ces difficultés évidentes, premières, et comme naturelles, que tout accomplissement, toute fabrication, nous font aisément et vaguement imaginer. Ce sont là des difficultés finies, presque énumérables, que l'on parvient à résoudre, une fois pour toutes, et dont les moyens de les résoudre peuvent se transmettre assez bien, d'une tête à l'autre, à l'école ou à l'atelier. Mais je songe à ces difficultés tout autres, problèmes d'ordre supérieur, incompréhensibles à la plupart des gens (et même à plus d'un du métier) que le véritable artiste invente et s'impose. Comme on invente une forme, une idée, ou une expérience, ainsi invente-t-il (le sculpteur) des conditions et des restrictions cachées, d'invisibles obstacles, qui relèvent son dessein, s'opposent à ses talents acquis, retardent son contentement, et tirent enfin de lui ce qu'il cherchait, -c'est-à-dire- ce qu'il ignorait qu'il possédât... Je dis que cette invention imperceptible de désirs et de scrupules est une œuvre peut-être plus profonde et plus importante en lui, que l'œuvre visible à laquelle tend son effort; et je dis que cet effort secret contre soi-même façonne et modifie celui qui l'exerce, plus encore que ses mains ne modifient la matière même à laquelle elles s'en prennent. »

Paul Valéry, Pièces sur l'art, Mon buste, édition Gallimard, 1960, page 1358.

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