mercredi 25 novembre 2009

le liseur, Schlink

- Suppose que quelqu'un coure à sa perte, délibérément, et que tu puisses le sauver : le feras-tu ? Imagine un malade qui va subir une opération alors qu'il prend des drogues incompatibles avec l'anesthésie, mais qui a honte d'avouer à l'anesthésiste qu'il est drogué : est-ce que tu parles à l'anesthésiste ? Imagine un procès où l'accusé va être condamné s'il ne révèle pas qu'il est gaucher et qu'il n'a donc pas pu commettre le crime, nécessairement perpétré par un droitier ; or, cet accusé a honte d'avouer qu'il est gaucher: iras-tu dire au juge ce qu'il en est? Imagine un homosexuel accusé d'un crime qui n'a pas pu être commis par un homosexuel, mais l'accusé a honte d'avouer qu'il l'est. Il ne s'agit pas de savoir s'il faut avoir honte d'être gaucher ou homosexuel, imagine simplement que l'accusé ait honte. (...)
- Ne te rappelles-tu pas comme cela pouvait te révolter, quand tu étais petit, que ta mère sache mieux que toi ce qui était bon pour toi? C'est déjà un vrai problème de savoir si on a le droit d'agir ainsi avec de petits enfants. (...) Mais s'agissant d'adultes, je ne vois absolument rien qui justifie qu'on mette ce qu'un autre estime bon pour eux au-dessus de ce qu'eux mêmes estiment être bon pour eux.
- Même si plus tard ils en sont eux-mêmes heureux? »
Il secoua la tête.
- Nous ne parlons pas de bonheur, nous parlons de dignité et de liberté. Quand tu étais petit, tu savais déjà la différence. Cela ne te consolait pas, que ta mère eût toujours raison. (...) Cette philosophie te convient ?
- Bah ... Je ne savais pas s'il fallait agir, dans la situation que j'ai évoquée, et je n'étais pas heureux à l'idée de devoir agir. Alors, si l'on n'a nullement le droit d'agir, je trouve que c'est ... » (....)
- « Agréable ? » suggéra-il.
J'approuvai de la tête tout en haussant les épaules.
«Non, ton problème n'a pas de solution agréable. On doit naturellement agir si la situation que tu as évoquée comporte une responsabilité qui vous est échue ou qu'on a choisi d'assumer. Si l'on sait ce qui est bon pour l'autre et qu'il refuse de le voir, on doit essayer de lui ouvrir les yeux. On doit lui laisser le dernier mot, mais on doit lui parler, à lui, et non parler à quelqu'un d'autre derrière son dos. »

Berhard Schlink, Le liseur, Gallimard, 1996.

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